Ouverture
Auteur: RIGAL Elisabeth
Ouverture
Pourquoi le symptôme varie-t-il en fonction des époques ? La grande hystérie n’existe plus ou bien est extrêmement rare. L’évanouissement se nomme « malaise vagal » par exemple. Est-ce une question de nomination uniquement ?
Le symptôme est polymorphe, il se décline, se déplace. Il se déplace pour ne pas laisser trop de prises. Sa forme, dans le fond, demeure. Ce qui permet d’identifier le symptôme analytique, qui signe l’organisation psychique du sujet. Sa déclinaison le lie peut-être davantage à une époque, à la lecture qui en est faite, son interprétation, son traitement. Pris dans le siècle, il comporte sa part d’identification, un trait attrapé voire imposé parce que largement mis en avant, et qui devient la marque d’une génération, d’un groupe. Le moment où les adolescents sont en recherche identitaire entre modifications du corps et place dans le monde est un moment de repérage important de ces formes symptomatiques.
Pourtant, un trait d’identification ne fait pas un symptôme. Il y faut certainement quelque chose de plus : une marque de jouissance qui fait que le sujet compte pour Un. On reconnaît le symptôme à un trait qui se répète et si on l’apparente à celui repéré chez un autre, c’est aussitôt pour en noter l’écart, la différence. Le symptôme à une portée unifiante et singularisante mais aussi dérangeante. Même s’il est porté par le discours dans certains cas, c’est pour être stigmatisé ou bien faire l’objet d’une rectification : en ce sens, nous avons une attention particulière à porter au terme « pédagogie » qui fait florès actuellement. Ce n’est qu’un exemple. Donc, le symptôme fait souffrir et nous conforte, ce qui n’est pas sans conséquence dans la pratique analytique.
J’avais été embarrassée par le titre « nouveaux symptômes » utilisé par l’ECF. Le symptôme avec ses aspects polymorphes et mouvants n’est-il pas toujours nouveau et éternel ? Pour autant sa prise dans le siècle et le mode de traitement qu’il subit ne mérite-t-elle pas examen par les psychanalystes ? Le symptôme, marque de la singularité est une forme de présence au monde. Il constitue l’envers de l’unité affiché par le névrosé, ça cloche, et une fonction unificatrice pour le psychotique, ce que Lacan a nommé sinthome en étudiant le cas de Joyce. Et pour le pervers ? Est-ce un spectacle (il mobilise le regard) ? Pour l’autiste, un hors-jeu ?
Pour Freud, le symptôme pouvait révéler un sens caché, à partir de la répression des pulsions et de la prise du sujet dans le langage. Tout devient très compliqué à partir de l’être au monde et de l’objet à jamais perdu parce que là où un gain de liberté pouvait être envisagé, en fait, il n’y en a pas. On peut aussi lire le symptôme freudien comme une tentative de rébellion. Le déplacement de ses formes montre que « ce n’est pas ça », et que le sujet ne se laisse pas attraper si facilement. Les trois impossibles que Freud mettait en avant (gouverner, éduquer, psychanalyser) signent aussi cette liberté du sujet, liberté de résistance (c’est un oxymore). Cela relève de l’illusion et pourtant, dans notre société de plus en plus autoritaire, n’y a-t-il pas le fantasme d’un sujet contrôlé au nom de la liberté ? La vision politique de Freud renvoie toujours, il me semble, à une communauté d’hommes : la horde (Totem et tabou), la tribu (l’homme Moïse…), la psychologie des foules. Un texte qui raccroche le symptôme au politique est celui sur la guerre (Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort-1915). Peut-être pas le seul, mais celui auquel j’ai pensé, en raison de son actualité.
Lacan, lui, s’est dégagé de la loi symbolique unificatrice avec les noeuds borroméens où le symptôme est le quatrième rond qui fait tenir RSI et il fait certainement un pas de plus avec le séminaire sur le sinthome et l’étude de Joyce qui conduit à repenser la fin de la cure et les organisations psychiques plus en terme de fonctionnement que de structures. C’est aussi une bascule qui permet de penser plus facilement, c’est tout relatif, cette articulation du symptôme au politique. Il faudrait d’ailleurs essayer d’expliquer pourquoi ce terme de politique plutôt que social : il s’agit d’orientations, de lois, de discours, plutôt que de règles ? Une forme de trame, à décrypter donc, et dans laquelle le symptôme jouerai sa partie ; la trame de l’inconscient.
Qu’est-ce qui relève du symptôme dans l’articulation au politique ? Et comment ?
Un collègue abordait la question des sans-papiers dans un article de la revue “la cause freudienne” en 2009. (Miquel Bassols : L’objet sans-papiers1). Il écrivait que l’immigré “était celui qui partait d’un pays pour trouver une place dans un autre”. Il se réfère à Stefen Zweig, qui, en 1915, s’était mis en position d’immigrant, et n’avait pas été contrôlé et avait eu des possibilités d’insertion immédiates.
Au XXème siècle, les contrôles se sont mis en place de façon systématique et “atteignent les sommets qu’on leur connaît aujourd’hui. Tels, les aéroports, qui sont la métaphore d’un non-lieu permanent, d’une non-place globalisée où l’on doit sans cesse prouver que l’on n’est pas un sans-papiers”. Les assurances de la preuve identitaire sont sans fin (caméras dans les arbres, portiques…etc). Mais, ces contrôles justifient-ils une identité ou bien suffit-il d’avoir le bon papier ? Le sujet disparaît dans le “pour tous” du contrôle. Voilà un paradoxe : Zweig nous donne le sentiment de compter davantage pour l’Autre alors qu’il n’a pas de papiers et celui qui justifie son identité en permanence ou toujours plus se trouve moins assuré, peut-être parce que la preuve se fait par la négative : ne pas être sans papiers. Et celui qui l’est, sans-papiers? “Au-delà du déplacement géographique, le véritable déplacement est celui du discours, où le sujet immigré devient un objet sans attributs mais auquel il est prié de s’identifier. Il est en effet l’indice de ce symptôme face auquel l’Europe est aujourd’hui divisée”. L’objet de la division est donc, la question de l’immigration et le traitement des immigrés.
Ce point marque la jonction entre symptôme et fantasme. “Il y a dans le symptôme ce que Lacan a appelé “son enveloppe formelle”, qui relève du signifiant, et il y a l’enveloppé, ce que l’enveloppe du symptôme contient et qui est jouissance.”(Sidi Askofaré, Psychanalyse N° 4, p37). Il précise plus loin :”Ce que Lacan démontre avec le Letter-Litter de Joyce, c’est justement que ce qui, à un moment était signifiant peut devenir objet au moment suivant.” “L’indice de ce symptôme” noté dans le texte précédent, le sans papiers, relèverait alors plutôt du signe (cf : Radiophonie), de ce qui nous divise, ” c’est à dire en définitive, de ce que le symptôme à la fois signale, masque et dévoile, met à nu.”(Psychanalyse 4, p38)
Bassols fait ensuite une lecture de cette problématique « sans papiers » à travers les différents discours, lien social et mode de traitement de la jouissance ou chaque discours rencontre un impossible (c’est l’impossible qui permet le traitement du jouis-sens : ça ne marche pas, ce que Lacan appelait “impuissance” à la fin du séminaire 17). L’objet “sans-papiers” y tient chaque fois une place différente. L’objet n’est pas celui du fantasme, mais ce qui est en place d’objet dans le discours et qui peut être une composante de l’organisation fantasmatique d’un sujet.
Donc, à partir de la position d’agent, M. Bassols situe l’objet sans-papiers en fonction du traitement que le discours propose :
-Le S1 du Maître “qui prône l’intégration pour tous” avec un effet de ségrégation, − Le S2 de l’Universitaire qui met en avant “l’interculturalité” et se heurte selon Claude Levi-Strauss à l’impossibilité de se “fondre dans la jouissance de l’autre”
− Le S barré de l’hystérique, déjà abordé (Europe et la question des immigrés) − Le petit a du discours de l’analyste pour lever l’impossibilité de l’identification forcée au sans-papiers et “lui donner un nom”.
J’ai mentionné plus haut le texte de Freud « Considérations sur la guerre et sur la mort ». Je l’ai relu et j’ai recherché les occurrences sur le symptôme. Freud soulignait « la misère psychologique des hommes de l’arrière », ceux qui n’étaient pas au front, engagés dans les combats, vu la façon dont il en parle. C’est la base de son texte qui le conduit alors à développer deux facteurs de cette misère : la déception causée par la guerre et la nouvelle attitude à l’égard de la mort. Il met d’abord l’accent sur la culture pour souligner qu’elle permet de ne pas confondre l’étranger avec l’ennemi. Il regrette ensuite : « Mais nous avons constaté chez nos concitoyens du monde un autre symptôme qui ne nous a peut-être pas moins surpris et effrayés que la baisse, si douloureuse pour nous, de leur niveau moral. Je fais allusion à leur manque d’intelligence, à leur stupide obstination, à leur inaccessibilité aux arguments les plus convaincants, à la crédulité enfantine avec laquelle ils acceptent les affirmations les plus discutables ». (p16 Traduction par Jankélevitch sur internet) .
(ibid p27) « Résumons-nous : impénétrabilité à la représentation de notre propre mort, souhait de mort à l’adresse de l’étranger et de l’ennemi, ambivalence à l’égard de la personne aimée: tels sont les traits communs à l’homme primitif et à notre inconscient. Combien est grande la distance qui sépare cette attitude primitive à l’égard de la mort et celle que nous imposent les conventions de notre vie civilisée ! »
La mort guette les migrants qui sont l’essentiel des sans-papiers aujourd’hui à chaque étape. Bassols faisait référence à un documentaire espagnol (visant à réduire l’immigration?) qui se terminait sur l’image d’une tombe anonyme « portant l’inscription immigrant suivie d’un numéro. » Cette concaténation signifiante n’entérine-t-elle pas l’effacement du sujet ?
Faut-il penser le symptôme dans son versant douloureux comme la pente à l’ignorance ? Ce qui nous ramènerait vers le “discourcourant” pour faire référence à Lacan et que j’écrirais en un mot, et qu’on peut entendre en élidant le r, comme le coucou qui fait lie dans le lit de l’Autre ?
Elisabeth Rigal
1La cause freudienne N°72, La désinsertion subjective.