Pas sans suite / Passant, suite / Passe ensuite
Auteur: SEGUIN Hélène
Pas sans suite / Passant, suite / Passe ensuite
Pas sans suite / Passant, suite / Passe ensuite
A partir de mon expérience de la procédure de la passe, je poursuis un questionnement sur ses effets, dont le problème de la nomination resté(e) en suspens.
J’ai fait une offre de passe à partir de ma question concernant les conditions de possibilités d’un « faire école » dans une association de psychanalyse. Soit peut-on attendre cela de la procédure de la passe? Pour moi, l’enjeu était là .Il n’était pas question de vie ou de mort du sujet comme dans ma cure. Il s’agissait tout de même de la transmission du discours analytique, donc de la survie de ce discours que soutient la psychanalyse.
Les particularités de cette procédure au Pari de Lacan
J’y repère trois niveaux reliés entre eux par l’offre du passant : le secrétariat de la passe, lieu d’adresse de l’offre du passant et de décision quant à la suite à lui donner. Si elle est positive, alors le passant tire au sort deux passeurs. C’est aussi l’interlocuteur privilégié en cas de difficulté. Enfin, c’est là que le passant signale la fin de son témoignage. Le secrétariat peut alors réunir le cartel de passe. C’est encore cette instance qui informe le passant de la réponse et de la composition du cartel.
Les deux passeurs tirés au sort recueillent chacun séparément le témoignage du passant. Les passeurs sont indépendants l’un de l’autre, chacun, dans mon cas ignorait quel était l’autre. J’ai été frappée par l’écoute trouvée auprès d’eux et la relance par leurs questions, visant à préciser mon élaboration, de façon à y rester au plus près lors de leurs témoignages auprès du cartel. Ils présentifiaient ainsi le tiers terme absent dans leur relation au passant.
Le cartel de passe reçoit le témoignage des passeurs alternativement. Il n’a affaire au passant qu’absent, représenté dans le témoignage des passeurs. Si le passant le souhaite, il pourra rencontrer un membre du cartel après que la réponse ait été rendue.
On a d’abord une première relève de sa cure faite par le passant et signant une perte, tout ne peut être dit. Vient ensuite une relève de cette relève faite par chaque passeur, nouvelles pertes. Le cartel traite à son tour ces deux versions d’un témoignage, à charge pour lui de se prononcer sur l’émergence ou non du désir de l’analyste. Chacun de ces niveaux est marqué par le non savoir et la perte. Le passant, comme le cartel de passe, a affaire à deux 1, les passeurs. L’écriture du 1 dans la théorie des ensembles est 1 + (0), zéro étant l’ensemble vide.
Reprenant Lacan, Pierre Bruno, dans « la Passe »,évoque le Mot d’esprit comme étant la passe, ce qui suppose trois personnes : le passant aux dépens de qui il se fait, les passeurs qui le font et le cartel à qui ils le rapportent. Si ce troisième rit, l’histoire se transformera en mot d’esprit. Il y a dans la passe quelque poésie qui s’attrape au
Réponse du cartel : « indécidable »
Petit clin d’oeil au Temps logique et à l’assertion de certitude anticipée : si le cartel sort par un « indécidable », j’entends bien qu’il me renvoie la balle que je lui avais glissée en touche, à charge pour moi de transformer l’essai, soit d’éclairer ce point resté obscur du passage à l’analyste. Et je sors de la procédure par une mise au travail d’écriture autour de ce point en jachère. Mais je m’arrête sur la question de la nomination.
C’est là que je reprends : la réponse du cartel me satisfait. Je ne sais pas encore pourquoi quand elle m’est transmise. Passe / pas passe : dans son embarras à trancher, je vois la marque que le cartel est troué. Ce point de non garantie dans le savoir de l’Autre est un souvenir marquant de ma cure. Alors je m’interroge sur ce qui m’a amenée à le « vérifier », comme s’il s’agissait d’un faux trou qui pourrait devenir vrai s’il était traversé par une droite infinie. Lacan en fait état dans le sinthome leçon du 9 mars 1976 où il indique que « c’est en tant que le sinthome fait un faux trou avec le symbolique qu’il y a une praxis quelconque. C’est à dire quelque chose qui relève du dire de ce que j’appellerai aussi bien à l’occasion l’art-dire… ». La droite infinie qui vérifie le faux trou « c’est ce phallus qui a ce rôle de vérifier du faux trou qu’il est Réel ». Dans la leçon du 13 avril du même séminaire il précise que « le vrai trou, il est ici où se révèle qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre », là il n’y a « aucun ordre d’existence ».
Je l’entends comme la place du dieu obscur qui n’existe pas ou plutôt de sa jouissance. Cela me renvoie à l’objet phobique présentifiant une jouissance devant laquelle recule le sujet. Et je m’explique alors l’écart de place entre le trou qu’enserre le noeud borroméen en son centre, où Lacan inscrit l’objet petit a, et ce lieu traversé par le phallus qui indexe la jouissance de l’Autre qui n’existe pas. Dans le séminaire sur l’identification, leçon du 28 mars 1962, Lacan marque sur le tore la distance entre ces deux points, le phallus imaginaire, petit phi, et l’objet petit a. Dans le plan projectif qui traverse en leur milieu les deux cercles de la demande, celui du sujet et celui de l’Autre, petit a se trouve à l’intersection des deux demandes, alors que petit phi est placé au centre de la demande du sujet au point où la demande de l’Autre coupe le plan projectif, donc sur le bord extérieur de ce cercle.
Dans la phobie, la castration n’est pas symbolisée, et ce trou là, représenté dans le noeud borroméen entre Réel et Imaginaire, extérieur au Symbolique déborde de la jouissance d’un Autre qui existerait, celui construit par le sujet dans son fantasme, autant dire qu’il est plein.
J’en déduis que la procédure de la passe opère un 2éme tour sur ce temps où se dèfe le fantasme, menant à la destitution subjective et l’identification du sujet chu à un rebut, au désêtre de l’analyste, avec la mise en place de ce point de non garantie dans l’Autre. Ainsi il s’agit d’une re-passe de la passe expérimentée dans la cure qui, ce faisant, la « vérifie », soit la rend « vraie » avec les effets de mise au travail que je constate, particulièrement la levée de l’inhibition portant sur l’écriture. Pour moi, la « vérification » s’est faite après coup par ses effets.
De ce fait, je peux répondre à ma question de départ, soit que c’est ce point de non garantie rencontré dans le savoir de l’Autre, qui permet un « faire école » et le nouage du singulier au collectif, point que le passage par la procédure de la passe « vérifie ». A ce titre, elle est propice à une transmission du discours analytique par ce nouage particulier via ce point de non savoir, de non garantie où l’Autre et la jouissance sont découplés. Là, pas d’existence d’un Autre jouisseur, trou Réel, et jouissance Autre. J’y situe la jouissance féminine. Ce découplage entre jouissance et Autre- qui-n’existe-pas, me semble permettre le nouage du singulier au collectif et pouvoir faire école.
Enfin, cela éclaire pour moi la question de la nomination. Si elle indexe le trou, elle ne peut être que symbolique et le titre ne devrait pas faire bouchon, sauf à transformer la passe en un pas, sans suite.
Rien ne peut garantir ce que le sujet fera de la réponse du cartel, comme rien ne garantit la décision du cartel pas plus que les témoignages recueillis. A chaque étape de la procédure, l’imprévisible est de la partie. Qu’’est ce qui pousse chacun à y prendre part sinon une nécessité dans son rapport à la psychanalyse?
Cependant, si la passe a un efficace, si cela fait nomination, alors ça ne peut pas se refermer. Je rejoins là ce qu’écrit Jacques Podjelski dans le numéro 44 de Psychanalyse Yetu : « une association de psychanalyse ne saurait, sauf à contrevenir à son objet, associer des psychanalystes mais des psychanalysants ».
De ce petit retour sur ma passe, je note qu’à leur corps défendant, les passeurs ont bien transmis ce faux trou que le cartel a épinglé, à son insu ou pas, et qui a motivé sa réponse de normand. Mais il fallait que j’arrive au bout de la procédure face à la réponse du cartel, pour que le faux trou soit vérifié et prenne sa dimension de vrai trou, donc qu’il aît son efficace.
Petite remarque en marge : pourquoi le secrétariat de la passe, en tant que fonction, ferait-il partie de l’Ouvroir? Il me parait plus juste que l’on y soit à titre personnel, au 1 par 1 avec l’ensemble vide donc que le 1 emporte avec lui.
Hélène Seguin, 13 octobre 2019
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