L’impasse des institutions médico-sociales
Auteur: SAKELLARIOU Skevi
L’impasse des institutions médico-sociales
Qu’est-ce qui ne va pas dans les institutions aujourd’hui ? Pourquoi nous ne pouvons pas exercer notre pratique ? S’agit-il d’un phénomène isolé ? Ou bien au contraire d’une généralisation d’impossibilités ? Quelle est la logique qui régit le fonctionnement institutionnel de nos jours ? Comment se fait-il que personne ne s’y retrouve ? Qu’est-ce qui a changé dans le cours des choses depuis deux ou trois décennies ? Où sont passées les modalités qui permettaient qu’un travail clinique soit possible ? Et enfin une aporie : Comment se fait-il qu’il n’y a aucune réaction, aucun mouvement collectif ni dans l’institution ni dans le champ du social en général ? Comment comprendre que cela continue à « tourner » en rond ? Quelles sont les conséquences pour les usagers, d’une part pour les travailleurs d’autre part ? Pouvons nous supposer qu’il y en a qui s’y retrouvent, qui trouvent leur compte. Que pouvons nous dire de l’état où se trouvent les sujets au un par un ?
Voilà une série de principales questions qui signalent selon moi un malaise une crise profonde dans nos institutions contemporaines et tout cela sans trouver la moindre lueur d’espoir que les choses changent. En pensant au grand poète grec Constantin Kavafy un poème me vient à la mémoire intitulé Mur :
Sans égards, sans pitié, sans scrupule,
ils ont élevé de hautes murailles autour de moi.
Et maintenant je ne fais rien ici que me désespérer.
D’un tel destin la pensée m’obsède et me ronge ;
car j’avais beaucoup à faire dehors.
Pendant qu’on bâtissait les murs, ah, que n’ai-je pris garde.
Mais jamais je n’ai entendu le bruit des maçons ni leur voix.
C’est à mon insu qu’ils m’ont enfermé hors du monde.
(Constantin Cavafy)
Il s’agit quasiment d’une exclusion au sens topologique du terme car j’ai l’idée que nous nous trouvons séparés par un jeu d’artifice du réel même qui leste le symptôme de chaque sujet.
Lorsque j’ai commencé mes études et par la suite ma pratique de clinicienne le discours d’actualité à la mode de l’époque était celui de l’antipsychiatrie avec comme point d’orgue une volonté de défaire les murs de l’asile qui représentaient le symbole d’une exclusion familiale et sociale. L’abolition de ces murs de ségrégation étai censée abolir les limites de la folie par le moyen de l’intégration des patients dans le lien social.
En France le discours de la thérapie institutionnelle avait succédé aux premières mesures de l’après guerre concernant la mise en place de la politique de la santé publique organisée autour des secteurs et des ceux qu’on appelait déjà des C.M.P.P. Des équipes pluridisciplinaires avaient instauré des temps nécessaires de rencontres et d’échanges afin d’élaborer les suivis des usagers pris en charge afin d’essayer de comprendre de s’accorder et d’orienter les pratiques en se centrant sur l’intérêt de chaque patient. La constitution du symptôme le consentement du sujet et le projet thérapeutique institutionnel constituaient des valeurs en usage et la psychanalyse avait sa place comme principe théorique et pratique d’orientation des pratiques des travailleurs sociaux. Bien sur il y avait des écarts et des fluctuations mais on ne peut oublier que l’on citait Freud Winnicott Maud Mannoni et bien d’autres. Les praticiens suivaient une « analyse personnelle » et pouvaient s’autoriser en tant qu’analysants à accompagner et soutenir la trajectoire de tel ou tel sujet.
Je ne suis pas entrain de verser vers une nostalgie aigue et si je soulève ces souvenirs que d’autres n’ont peut-être pas connus c’est pour souligner ce caractère complètement anhistorique et a – théorique qui règne en maitre avec beaucoup de fierté et d’arrogance parmi les dirigeants de nos institutions aujourd’hui. Pire c’est la temporalité elle même dans l’histoire d’un sujet voire dans l’histoire d’une institution que l’on aurait plutôt tendance à effacer sous l’impératif a temporel du fameux « temps réel » qui régit outre les relations commerciales les échanges entre les humains en général.
Nous assistons aujourd’hui à une dérive managériale généralisée qui imprime son rythme par le biais de mots d’ordre fragmentés observation évaluation expertise P.P.A, P.P.S. etc. Nous sommes au royaume des acronymes, langage codé, et novlangue font l’essentiel des échanges Protocolisation des rencontres temps réduit dans l’exercice des praticiens au niveau des réunions et du temps consacré au travail des séances avec les jeunes patients. « Vous n’avez pas regardé vos mails ? » « Cochez ici dans les petites cases », il ne faut pas oublier la démarche qualité et la satisfaction des clients c’est à dire des jeunes patients et leurs familles. On n’est d’ailleurs plus des patients mais des consommateurs des prestations à la carte. « Il faut positiver » « il faut s’adapter à la demande » il ne faut pas des critiques pas de mots négatifs.
Après les formations pour la gestion du stress on propose maintenant de formations d’habilitation sociale : il faut apprendre aux jeunes la bonne voie les bonnes conduites le politiquement correct utiliser le bon clic et les bons smileys. Les nouveaux formateurs neuropsychologues viennent nous expliquer comment procéder pour l’intégration socio professionnelle selon les bonnes pratiques.
Cependant face au désordre sur le plan social face à la recrudescence des phénomènes psychotiques (décompensations hallucinations – délires) qui envahissent les jeunes sujets il n’y a qu’une réponse issue de l’idéologie dominante du sujet de la libre entreprise. Les jeunes sont responsables, leur famille également. Qu’ils montent sur les arbres ou sur les toits qu’ils mangent de la terre ou des murs, qu’ils s’agressent eux mêmes ou qu’ils agressent les autres. Tout est dirigé sur le principe de la transformation du comportement des théories délirantes sur la résilience de déconditionnement ou déradicalisation. Le réel de la clinique est recouvert par le maitre mot du handicap terme économico technique (dans la mesure ou il s’agit d’un critère qui détermine les compensations financières).
Les jeunes ont tous « des troubles » (traduit de l’anglo-américain disorders selon le DSM) qu’il convient d’éradiquer dans la mesure où ils sont à l’origine de leur exclusion scolaire et sociale. Et la consigne retenue est celle de la « réparation, réadaptation » pour en faire des élèves méritant les apprentissages et formations professionnelles, autrement dit les transformer en citoyens obéissants et soumis à l’ordre économique dominant.
Il me semble que plusieurs seuils sont franchis vis à vis des professionnels : Absence d’un minimum de respect pour le travail accompli, volatilité de positionnement au gré des variations des situations et de l’humeur du moment de la part des dirigeants. Abolition des conditions à minima pour exercer le travail orienté par la clinique du sujet et du transfert (le mot simple de psychanalyse est radié des termes qui qualifient une orientation de pratiques).
Quelle est la responsabilité des praticiens, comment y faire face, comment résister ?
Un des problèmes peut-être c’est que même les praticiens qui ont fait une analyse ne semblent pas pouvoir se regrouper, rechercher collectivement quelques répliques quelques solutions inventer des ripostes collectives. Les praticiens que nous sommes orientés par la psychanalyse nous n’avons pas à nous dérober eu égard nos responsabilités. Les psychanalystes dans leur ensemble ont-ils leur conscience tranquille ont ils fait leur devoir de travailler de s’appuyer sur les ressources de doctrine d’inventer de nouveaux dispositifs de se soutenir mutuellement collectivement ? Pouvons nous soutenir aujourd’hui que tout n’a pas été fait que du chemin reste à faire à moins que l’on puisse considérer que toutes ces pratiques orientées par la psychanalyse seront assimilées aux « trente glorieuses » destinées aux oubliettes de l’histoire.
Il me semble que si réponse il y a, elle ne peut être que collective, et il est peut-être encore temps pour ne pas laisser le discours capitaliste écrire tout seul l’histoire de l’avenir.
Skevi Sakellariou Toulouse le 16 Mars 2019